Norbert Alter Sociologue des organisations, Professeur affilié à Sciences Po Executive Education Norbert Alter pose les questions « simples », de celles que nous avons tous en tête sur le travail des managers et des directeurs. Il peut les présenter sous forme d’énigme.
Celle-ci par exemple : comment se fait-il qu’après 40 années de travaux de sciences humaines on continue à faire des choses absurdes en matière de management ? Y compris par celles et ceux qui ont bien lu tous les bons livres ?
Le lien social représente un avantage économique énorme pour la vie des organisations, tout le monde est d’accord là-dessus. Il ne coûte pas grand-chose et il rapporte beaucoup.
Alors comment se fait-il que l’on n’arrive pas à re-concevoir une pensée managériale qui tire parti de ce trésor dans une organisation ?
Amphi débat organisé en partenariat avec la DRAAF Auvergne-Rhône-Alpes en présentiel à Valence
La vidéo éditée sera disponible pour les inscrits de l'UODC en janvier 2024 : les vidos complètes
Pour Norbert Alter, le problème des organisations ne consiste pas à « mobiliser les salariés (les équipes) », mais à tirer parti de leur volonté de donner.
Cela décoiffe un brin. Et pourtant…
Prenons un « petit exemple », qui parle à beaucoup, notamment dans l’enseignement agricole : la question de l’innovation.
Lorsque Norbert Alter évoque l’innovation, dont il est sans doute l’un des plus grands penseurs aujourd’hui, il distingue d’abord de manière nette l’invention de l’innovation.
Inventer signifie trouver ou créer une nouveauté. L’innovation représente le passage, le processus, la durée qui permet à une nouveauté de devenir une pratique sociale courante.
La nouveauté, pour « prendre » ne doit pas être en surplomb par rapport aux pratiques sociales. Elle doit faire l’objet d’une appropriation, être intégrée dans les coutumes, les représentations du monde, les outils, la conception du bien et de l’économie d’un milieu social donné (…).
On comprend bien alors que l’innovation représente une activité collective.
Elle signifie que les directeurs peuvent inventer des procédures, des technologies et des règles, mais que leur mise en œuvre effective suppose que les équipes se les approprient.
Donc être directeur « moderne » aujourd’hui, vouloir que son établissement se distingue, innove, ce n’est sans doute pas vouloir convaincre du caractère « innovant » de telle ou telle nouveauté. Et travailler âprement à lutter contre les « résistances au changement ».
Mais alors, c’est faire quoi ? Quel pourrait être le travail d’un directeur aujourd’hui ?
C’est la question que l’UODC a posé à Norbert Alter. Sa réponse, le débat qui va s’enclencher avec tous les responsables de l’enseignement agricole public en Auvergne-Rhône-Alpes nous intéresse tous : il est de portée générale dans notre pays.
Jean Besançon
Directeur de l’UODC
L'intervenant :
Spécialiste de la sociologie des organisations, Norbert Alter a une connaissance empiriquement fondée de la vie des entreprises et des rapports sociaux qui s’y nouent : il a été sociologue d'entreprise chez France Télécom durant treize ans avant d’entrer à l’Université, d’abord au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) en tant qu'enseignant-chercheur durant quatre ans, puis à l'Université Paris Dauphine durant une vingtaine d'années. Membre du laboratoire DRM (Dauphine Recherche en Management) CREPA, il y a été directeur du CERSO (Centre d’Études et de Recherches en Sociologie des Organisations) de 2000 à 2008 et co-directeur du master « Management, travail et développement social ».
Co-fondateur de l'Association Professionnelle des Sociologues d'Entreprise et de la revue "Sociologies Pratiques", toutes les recherches de Norbert Alter participent au débat entre management et sciences humaines. Toutes indiquent que le social est au cœur de l’économique.
Spécialiste des questions d'innovation et de coopération dans les organisations, il mobilise les théories sociologiques, psychologiques et anthropologiques pour analyser les pratiques de gestion.
Ses travaux s'intéressent à la dynamique des organisations et à leurs acteurs.
L'innovation résulte selon lui d'un processus non linéaire au cours duquel l'invention initiale ne trouve que progressivement sens et efficacité. Trois étapes se succèdent : idée initiale, appropriation, institutionnalisation. Les innovateurs y occupent une place centrale : ils transgressent puis inversent les normes sociales. Sous cette forme, l'innovation renvoie à un phénomène "ordinaire", émergeant des pratiques sociales.
À propos de la coopération, il mobilise centralement la théorie du don et les travaux de Marcel Mauss. Il observe que la compétence collective repose sur le principe de "réciprocité élargie": les individus au travail échangent pour être efficaces, pour créer des liens sociaux et pour "faire société". Ses travaux éclairent également un paradoxe : le management s'évertue à mobiliser les salariés alors qu'il s'agit de tirer parti de leur volonté de donner.
Il est l'auteur d'une intervention à l'UODC : « Coopérer, donner, recevoir et rendre : comment favoriser la coopération dans l’entreprise ? », Vidéo complète n°282, Édition Juin 2022.
Les travaux de Norbert Alter ont donné lieu à une dizaine d’ouvrages parmi lesquels :
« Sans classe ni place : l’improbable histoire d'un garçon venu de nulle part » (éditions Puf, 2022)
« La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques » (éditions Puf, 2018)
« Sociologie du monde du travail » (éditions Puf, 2012)
« Donner et prendre - La coopération en entreprise » (éditions La Découverte, 2009)
« Les logiques de l'innovation. Approche pluridisciplinaire » (éditions La Découverte, 2010)
« L’innovation ordinaire » (éditions Puf, 2000)